Il y a 30 000 ans, un randonneur paléolithique aurait ici croisé sur son chemin chevaux, bisons, aurochs, cerfs, mégaceros, et au plus près de la rive, quelques phoques et pingouins. Imaginez, il y a plusieurs millénaires, une large steppe, à la place de la mer, le rivage se trouvant quelques kilomètres plus au sud. Car oui, il y a 30 000 ans, nous sommes en pleine glaciation, d'où les pingouins, et le niveau de la mer est 135 mètres plus bas.
![]() |
GROTTE COSQUER : la Préhistoire sous pression |
Un territoire parfait qui combine mer, relief et plaine. Les hommes du Paléolithique se livraient à la chasse et à la pêche, mais pas uniquement. Ils venaient aussi se perdre dans les grottes pour peindre et graver.
La grotte Cosquer : un chef-d'œuvre englouti
La meilleure archive qui nous soit parvenue de cette faune en partie éteinte se trouve sous nos pieds, dans la grotte Cosquer, qui abrite un arparietal vieux de 31 000 ans. Aujourd'hui englouti sous les eaux, ce site se trouve au milieu des calanques de Marseille, au niveau de cette pointe. A l'intérieur, 177 figures animales ont été répertoriées, avec 11 espèces identifiées, mais aussi 65 mains négatives et environ 300 symboles.
Ceci en fait l'un des plus grands sites d'arparietal européen dont nous ne connaissons pourtant qu'un cinquième de la surface, les autres parties ayant été noyées. Immergé il y a 10 000 ans, l'entrée du site est réservée à quelques rares plongeurs qui parviennent à se faufiler dans un boyau long de 137 mètres avant de parvenir aux salles ornées. Cet obstacle physique a évidemment contribué à l'incroyable conservation des peintures.
Aucun humain n'a mis les pieds dans la grotte avant 1991, date de sa découverte par Henri Cosquer, plongeur et inventeur du site. Si ce lieu est resté préservé des humains, il l'a aussi été des changements climatiques. Depuis 2014, des scientifiques s'intéressent au devenir de ces œuvres, et le laboratoire de recherche Serège tente de savoir combien de temps résisteront ces peintures et gravures aux changements climatiques et à la montée des eaux.
Les défis de la conservation
Ainsi, cette équipe de recherche a mis en évidence, grâce à des analyses hydro-géologiques, que les conditions climatiques de la grotte diffèrent beaucoup de celles que connaissent les randonneurs quelques mètres de calcaire plus haut. En effet, nous nous trouvons sur ce qu'on appelle un réseau karstique. Ça signifie que nous marchons sur de la roche calcaire très friable.
Le ruissellement des eaux au cours des millénaires creuse peu à peu la roche, au point de créer de véritables tunnels et grottes souterraines. C'est de cette manière que la grotte Cosquer s'est formée. Au terme de 3 années d'enregistrement de données par les chercheurs, il apparaît que la pression atmosphérique est toujours plus élevée dans la grotte que la pression atmosphérique que nous subissons à la surface.
En fait, lorsque les vagues frappent la falaise et s'engouffrent dans l'entrée de la grotte, elles apportent une certaine quantité d'air. Cet air augmente la pression atmosphérique à l'intérieur. Et il se trouve que cette surpression empêche le niveau de la mer de monter dans la cavité.
Finalement, la grotte fonctionne comme un écrin pour les trésors qu'elle abrite. Elle s'autorégule et veille seule au bon entretien de ses œuvres depuis 31 000 ans. Cette caractéristique géologique est une chance puisqu'elle permet de conserver un patrimoine historique exceptionnel.
La mer et le sol ont su protéger ce lieu, mais ils peuvent aussi le contaminer. Pollution marine venue des navires, rejets côtiers dont agents chimiques industriels et hydrocarbures ne s'arrêtent pas aux portes de la grotte. Même engloutie et inaccessible à la plupart des humains, ce site reste un lieu fragile, en péril, et qui n'échappe pas aux problématiques suscitées par notre mode de vie.
Les inquiétudes des chercheurs grandissent à mesure que le niveau mondial des océans, lié au réchauffement climatique, remonte. Si ce phénomène risque bien de causer l'extinction de l'ours polaire, il pourrait aussi faire disparaître les trois seuls spécimens dessinés de pingouins de Méditerranée.
"Lisez aussi grotte d'lascaux."